ACCOUCHER
AUJOURD’HUI EN FRANCE : LE RASAGE DU PUBIS
Une des pratiques courantes de nos
chères maternités françaises reste le rasage quasi-systématique du pubis. On
entend ici le rasage (et non l’épilation) au rasoir de tout ou partie des poils
du maillot sur les femmes enceintes se présentant pour accoucher dans un
service de maternité lambda à l’hôpital ou en clinique.
C’est d’ailleurs une des questions qu’on
pose à son gynécologue (si on ose) ou sur les forums dédiés. Ainsi, cette primipare
qui s’excuse par avance d’aborder ce « sujet dérisoire, désolée » (doctissimo) et
qui se lance à poser LA question : est-ce vrai qu’on nous rase la teuch quand on accouche ?
Au vu des quelques forums parcourus, je
ne vais pas mentir, cette pratique n’est pas systématique, de nombreuses femmes
disent qu’on ne les a pas touchées. Mais visiblement, ça reste quand même très
courant, et surtout, (surtout !) on ne sait pas vraiment à l’avance, on n’est pas prévenue, ça reste assez
flou, opaque. « Peut-être », « en cas d’épisiotomie seulement »
(= probabilité élevée ! cf. les statistiques des maternités françaises), « seulement
autour du périnée », « pas tout », etc… voilà les réponses vagues
qu’on peut faire aux femmes quand elles osent s’enquérir du sort réservé à leur
chère toison.
Alors, dans le doute, beaucoup préfèrent
prendre les devants et se rendre chez l’esthéticienne pour un maillot intégral
quelques jours avant leur DPA (date prévue d’accouchement). C’est sûr que
certains témoignages sur Internet ne donnent vraiment pas envie et font pencher
la balance en faveur d’une intervention préméditée chez une professionnelle :
- A la maternité, « ils ne prennent pas toujours la peine d’humidifier la
zone avant donc bonjour les micro-coupures ! » Aïe ! (doctissimo)
- « J’imagine qu’ils vont prendre un bon vieux Bic orange
bien irritant et pas le dernier Gilette Vénus Vibrance Triple Lame avec sa p’tite
bande aloé vera, n’est-ce pas ? » (doctissimo)
On constate qu’une grande
désinformation règne sur le sujet. En effet, de nombreuses femmes prétendent vigoureusement
que c’est au nom de l’Hygiène que cette pratique persiste et qu’elles préfèrent
largement cela plutôt que de présenter des
poils-caca-beurk :
- « On est rasées et heureusement ! C’est
beaucoup plus hygiénique pour les soins après, les pertes etc… » (magicmaman.com)
- « Si pas de poils, ben les éventuelles cochonneries qui
s'écoulent (pertes blanches, pertes de sang,... et je parle même pas de tout ce
qui sort à l'accouchement) ne restent pas "accrochées" aux poils. » (aufeminin.com) (on
note au passage le terme « cochonneries » pour décrire les sécrétions
féminines et ce qui sort de l’utérus (y compris le bébé ? et son vernix
protecteur ? et le placenta qui l’a alimenté pendant 9 mois ? …).
On sent ici à quel point la réalité du
corps féminin, avec ses sécrétions, sa pilosité, son animalité, est niée, cachée, condamnée au point que certaines
femmes ne la supportent pas ! La mode du « tout épilé »,
largement véhiculée par la pornographie qui a besoin de bien visualiser l’organe
sexuel féminin, donne effectivement l’impression que c’est propre d’être lisse
et imberbe, alors que les poils sont vus comme sales. Or, en réalité, le risque d’infections est multiplié sans
la présence des poils. Les poils en général et les poils pubiens en
particulier ont bien un but prévu par la nature : protéger un orifice ou
un organe des bactéries indésirables qui pourraient venir s’y loger et pénétrer
dans l’organisme.
Par
ailleurs, on ne parle pas assez de l’inconfort ressenti lors de la repousse de
poils coupés avec une lame de rasoir. Les poils repoussent rapidement et drus,
parfois en s’incarnant (poils sous peau), ce qui peut devenir particulièrement
douloureux sur une suture en cours de cicatrisation… Mais qu’est-ce qu’une
légère démangeaison quand on a le bonheur de serrer son bébé contre soi ?
Hein ?
Les femmes pâtissent vraiment du manque
d’informations généralisé sur ce sujet (et sur tout ce qui touche à l’accouchement
physiologique). On trouve par exemple des raisons invoquées qui en deviennent
cocasses, comme celle-ci :
« Eh oui, ils te rasent sinon comment faire la différence entre la
tête de bébé et les poils qui sont déjà là ? »
Heureusement,
certaines mères semblent quand même plus au courant et trouvent une répartie rigolote :
« Et si le bébé est chauve, on colore le périnée pour bien faire la
différence avec la tête alors ? Lol ! » (doctissimo)
Mais en règle générale, (et c’est
peut-être le pire), LE conseil qui ressort sur les forums, c’est :
- C’est « un
peu gênant, il est vrai, mais on n’est plus à ça près ! » (infobébés.com)
- « Je
peux te rassurer que lors de ton accouchement, tu ne te rends pas vraiment
compte de cela. » (infobébés.com).
- « En
tous cas, je veux dire de ne pas t’inquiéter pour ça », rassure-t-on
sur le forum infobébés.com
- « J’y
ai eu le droit mais bon, franchement, j’ai pensé à autre chose à ce moment-là,
et vu la posture j’étais plus à ça près ! » (infobébés.com)
Donc,
en gros, on est déjà suffisamment humiliée, on n’en est plus à rougir d’un coup
de rasoir administré par un(e) inconnu(e) sur une partie intime.
En
fait, minimiser ainsi la chose, la considérer comme une préoccupation pour ainsi dire puérile et indigne d’une femme sur le
point d’enfanter, c’est refuser de reconnaître que c’est bien une pratique
(de plus) qui va s’immiscer dans la sphère intime de la parturiente, parfois sans
même qu’on daigne la prévenir et d’une manière qui peut la traumatiser à
différents degrés. Dans tous les cas, cela s’inscrit dans les pratiques qui
sont trop souvent imposées aux femmes et si jamais on ose relever le caractère humiliant de l’acte (sans
parler de son inutilité !), on se voit reprocher qu’on n’arrive pas à
élever notre esprit pour ce moment d’amour céleste qui va constituer un
paroxysme de notre existence (ou qu’on n’est pas docteur ayant fait 12 ans d’études
et qu’on ferait bien d’arrêter de se renseigner, faites-nous confiance, ma p’tite
dame).
On
en arrive à ce genre de témoignages, où les torts du personnel hospitalier sont
complètement réduits, voire niés :
- « On m’a
rasée au niveau du périnée juste
avant d’accoucher avec un rasoir Bic … mais
on m’a laissé le reste des poils. J’ai pas
du tout eu mal, la sage-femme était
douce mais il se trouve que j’ai un grain de beauté à cet endroit et il a
été un peu égratigné et ça m’a un peu brûlée par la suite mais, sinon ça va, on nous enlève juste
quelques centimètres carrés de poils. » (magicmaman.com) (c’est moi qui
souligne les tournures de phrases destinées à minimiser l’importance de ce qu’elle
a subi)
Très
officiellement pourtant, pour l’OMS, le rasage du pubis entre dans la catégorie
« pratiques à l’évidence nocives ou
inefficaces et qu’il convient d’éliminer » pour un accouchement dit « normal » :
- « Lavement
et rasage du pubis sont considérés depuis longtemps comme superflus et ne
devraient plus être effectués qu’à la demande de la femme. » Source : Les soins liés à un accouchement normal –
Guide pratique, publié par l’OMS en 1997 et téléchargeable à cette adresse : http://www.who.int/reproductivehealth/publications/maternal_perinatal_health/MSM_96_24_/fr/
- « Le rasage du pubis (Johnston et Sidall 1922, Kantor et al. 1965)
est censé réduire les infections et faciliter la suture mais cela n'est pas
prouvé. Les femmes sont gênées lorsque les poils repoussent et le risque
d'infection n'est pas réduit. Le rasage systématique pourrait même accroître le
risque d'infection par le VIH et le virus de l'hépatite, pour le dispensateur
de soins et pour la femme. » Source : Département de Santé et Recherche génésiques, OMS, et
sur Internet : http://www.doulanaissance.ca/documentations/aspects_acc.html
Alors, comment se fait-il
que cette pratique soit toujours d’actualité dans nos contrées ? Les
gynécologues-obstétriciens et sages-femmes français ne lisent-ils pas les
actualités scientifiques de leur domaine ? Pourquoi de telles
absurdités perdurent-elles au vu et au su de tous alors même qu’elles
sont décriées par les experts du monde entier ? Les parturientes
sont-elles trop honteuses parce qu’il s’agit de leurs organes génitaux ?
Ou plutôt parce qu’elles sont déjà dans une posture de soumission
extrême face au personnel hospitalier et qu’il est communément admis que
ses membres n’ont pas à justifier de leurs protocoles, aussi stupides, bornés
et néfastes soient-ils ? Est-il normal que les femmes aient besoin d’aller
quémander cette information capitale pour leur corps sur des forums de vulgarisation
scientifique réputés peu fiables ? Qu’est-ce que cela sous-entend sur la
soi-disant « relation de confiance » qu’elles sont censées entretenir
avec le médecin qui suit leur grossesse ? A quand une prise de
conscience du grand public sur les méfaits physiques et psychologiques (à
court et long terme) des pratiques routinières autour de l’accouchement ?