jeudi 21 novembre 2013

Le sexisme ordinaire dès la petite enfance


Aujourd’hui, pour ma deuxième contribution aux Vendredis Intellos, j’ai choisi de vous parler de l’essai Du côté des petites filles, l’influence des conditionnements sociaux sur la formation du rôle féminin dans la petite enfance d’Elena Gianini Belotti, enseignante Montessori et auteure féministe.
            Le livre a été publié en 1974, en plein militantisme féministe post-soixante-huitard alors ça attaque sévère la notion d’instinct maternel, la femme qui se réalise uniquement à travers sa maternité, tout ça c’est beurk pour Elena! Autant dire qu’on est loin du maternage mais ce n’est pas le propos. Belotti fournit ici un travail détaillé sur les différences de traitement fille/garçon, qui commencent dès le choix de la couleur des layettes (roses ou bleues ?).
            Alors, oui, il y a des aspects vieillots qui n’ont (heureusement) plus cours mais qui ont l’avantage de montrer les évolutions positives de notre société depuis les années 1970 (positivons !). Par exemple, le reproche fait aux femmes qui n’ont que des filles de ne pas savoir engendrer de mâles ou encore la formation des maîtresses d’école (il n’y avait même pas de maîtres à l’époque !) qui a beaucoup changé.
            Mais, hélas ! Mille fois hélas ! Il y a aussi beaucoup d’autres aspects qui sont toujours d’actualité. A vrai dire, l’écrasante majorité ! Et alors, là, ya du boulot ! N’entend-on pas régulièrement des clichés tels que « Il adore courir partout : un vrai p’tit gars ! » ou «  Elle se regarde dans le miroir : c’est bien une fille, tiens ! »
            Certes, on n’est plus vraiment choqués de voir un petit garçon jouer à la poupée, mais ne le poussera-t-on pas plutôt vers des jeux d’action, de construction, bref « de garçons » ? A l’image de cette assistante maternelle rencontrée à la ludothèque et dont le garçon, très concentré, manipule l’aspirateur depuis 10 minutes : « Marius, tu joues encore avec ça toi ! Viens plutôt dans le tunnel ! Allez ! »
            Belotti montre que c’est à travers ce genre de discours, en usant et abusant de ces petites phrases insidieuses, de manière automatique, inconsciente, qu’on conditionne lentement mais sûrement les enfants à assumer leur rôle sexuel dans la société. Ce livre montre l’importance du discours, à quel point les mots que nous utilisons peuvent résonner longtemps et influer notre comportement. Notre conditionnement sexuel a commencé dès notre naissance et s’est bâti à coup de petites phrases anodines.
            Elle liste les dictons, croyances, adages, stéréotypes qu’on entendait fréquemment et qui tous véhiculaient la supériorité des garçons: « si la femme enceinte est de bonne humeur, ce sera un garçon, si elle est de mauvaise humeur, pleure facilement, ce sera une fille » ou encore « les petites filles pleurent plus que les garçons à la naissance ».
            Elle rapporte aussi qu’il y avait statistiquement plus d’enfants mâles allaités, qu’on leur accordait plus de temps au sein et que les petites filles étaient de toutes façons sevrées plus tôt. Elle cite l’étude d’Irène Lézine, Le développement psychologique de l’enfant (1965) : 34% des mères étudiées « refusaient de nourrir au sein les filles parce qu’elles considéraient cette pratique comme un travail forcé ou parce qu’elles en étaient empêchées pour des raisons de travail mises au premier plan ». Toutes les mères d’enfants mâles, sauf une, avaient au contraire voulu leur donner le sein. »
            Elle se base sur ses nombreuses séances d’observation d’enfants en crèche pour analyser leurs jeux et les différences de réactions des adultes face aux garçons et aux filles. Par exemple, elle a pu observer qu’on cherchait à tout prix à réprimer l’agressivité, l’hyperactivité chez les petites filles. On attend d’elles qu’elles soient calmes, posées, stables. En général, c’est vers 2 ans que les filles abdiquent, cèdent et deviennent passives : elles cessent de répliquer aux coups, pleurnichent, etc... En s’identifiant aux femmes de leur entourage direct, elles ont intériorisé une attitude de victime.
            Et que dire de la littérature enfantine où les préjugés sexuels pullulent ? Les protagonistes majoritairement masculins, les mamans à la cuisine, les papas au travail, les petits garçons construisant des cabanes et les petites filles jouant à la dînette… Encore une fois, si les éditeurs et auteurs ont fait des efforts, il m’est arrivé plus d’une fois de refermer un livre horrifiée! Belotti nous réserve donc quelques analyses de livres aux petits oignons qui vous dégoûteront à tout jamais des contes traditionnels : « Le Petit Chaperon Rouge est l’histoire d’une fillette à la limite de la débilité mentale … Blanche-Neige est une autre petite oie blanche … Cendrillon est le prototype des vertus domestiques, de l’humilité, de la patience, de la servilité, du « sous-développement de la conscience » etc… ».
            A l’heure où l'on publie encore des horreurs comme le Dico des filles 2014 et à cette époque particulière de l’année où nos boîtes aux lettres croulent sous les catalogues de Noël toujours aussi prompts à catégoriser les cadeaux pour filles et ceux destinés aux garçons, ce livre tombe à point nommé. Car oui, les choses ont changé en 40 ans mais comme il reste du chemin à parcourir ! ^^
Parce que tout part de la façon dont nous accompagnons nos enfants, dont nous leur présentons les choses.
Parce qu’ils nous imitent et s’identifient à nous, que nous sommes leurs modèles.
Parce que les filles subissent encore un véritable « dressage à la délicatesse ».
Parce que ça commence par de petites réflexions insidieuses et que ça devient des gros préjugés solidement ancrés.
Ce livre est toujours d’actualité.



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