mercredi 28 mai 2014

ACCOUCHER AUJOURD’HUI EN FRANCE : LE RASAGE DU PUBIS

         Une des pratiques courantes de nos chères maternités françaises reste le rasage quasi-systématique du pubis. On entend ici le rasage (et non l’épilation) au rasoir de tout ou partie des poils du maillot sur les femmes enceintes se présentant pour accoucher dans un service de maternité lambda à l’hôpital ou en clinique.
         C’est d’ailleurs une des questions qu’on pose à son gynécologue (si on ose) ou sur les forums dédiés. Ainsi, cette primipare qui s’excuse par avance d’aborder ce « sujet dérisoire, désolée » (doctissimo) et qui se lance à poser LA question : est-ce vrai qu’on nous rase la teuch quand on accouche ?
         Au vu des quelques forums parcourus, je ne vais pas mentir, cette pratique n’est pas systématique, de nombreuses femmes disent qu’on ne les a pas touchées. Mais visiblement, ça reste quand même très courant, et surtout, (surtout !) on ne sait pas vraiment à l’avance, on n’est pas prévenue, ça reste assez flou, opaque. « Peut-être », « en cas d’épisiotomie seulement » (= probabilité élevée ! cf. les statistiques des maternités françaises), « seulement autour du périnée », « pas tout », etc… voilà les réponses vagues qu’on peut faire aux femmes quand elles osent s’enquérir du sort réservé à leur chère toison.
         Alors, dans le doute, beaucoup préfèrent prendre les devants et se rendre chez l’esthéticienne pour un maillot intégral quelques jours avant leur DPA (date prévue d’accouchement). C’est sûr que certains témoignages sur Internet ne donnent vraiment pas envie et font pencher la balance en faveur d’une intervention préméditée chez une professionnelle :
- A la maternité, « ils ne prennent pas toujours la peine d’humidifier la zone avant donc bonjour les micro-coupures ! » Aïe ! (doctissimo)

- « J’imagine qu’ils vont prendre un bon vieux Bic orange bien irritant et pas le dernier Gilette Vénus Vibrance Triple Lame avec sa p’tite bande aloé vera, n’est-ce pas ? » (doctissimo)

         On constate qu’une grande désinformation règne sur le sujet. En effet, de nombreuses femmes prétendent vigoureusement que c’est au nom de l’Hygiène que cette pratique persiste et qu’elles préfèrent largement cela plutôt que de présenter des poils-caca-beurk :
- « On est rasées et heureusement ! C’est beaucoup plus hygiénique pour les soins après, les pertes etc… » (magicmaman.com)

- « Si pas de poils, ben les éventuelles cochonneries qui s'écoulent (pertes blanches, pertes de sang,... et je parle même pas de tout ce qui sort à l'accouchement) ne restent pas "accrochées" aux poils. » (aufeminin.com) (on note au passage le terme « cochonneries » pour décrire les sécrétions féminines et ce qui sort de l’utérus (y compris le bébé ? et son vernix protecteur ? et le placenta qui l’a alimenté pendant 9 mois ? …).

         On sent ici à quel point la réalité du corps féminin, avec ses sécrétions, sa pilosité, son animalité, est niée, cachée, condamnée au point que certaines femmes ne la supportent pas ! La mode du « tout épilé », largement véhiculée par la pornographie qui a besoin de bien visualiser l’organe sexuel féminin, donne effectivement l’impression que c’est propre d’être lisse et imberbe, alors que les poils sont vus comme sales. Or, en réalité, le risque d’infections est multiplié sans la présence des poils. Les poils en général et les poils pubiens en particulier ont bien un but prévu par la nature : protéger un orifice ou un organe des bactéries indésirables qui pourraient venir s’y loger et pénétrer dans l’organisme.
         Par ailleurs, on ne parle pas assez de l’inconfort ressenti lors de la repousse de poils coupés avec une lame de rasoir. Les poils repoussent rapidement et drus, parfois en s’incarnant (poils sous peau), ce qui peut devenir particulièrement douloureux sur une suture en cours de cicatrisation… Mais qu’est-ce qu’une légère démangeaison quand on a le bonheur de serrer son bébé contre soi ? Hein ?

         Les femmes pâtissent vraiment du manque d’informations généralisé sur ce sujet (et sur tout ce qui touche à l’accouchement physiologique). On trouve par exemple des raisons invoquées qui en deviennent cocasses, comme celle-ci :
« Eh oui, ils te rasent sinon comment faire la différence entre la tête de bébé et les poils qui sont déjà là ? »
Heureusement, certaines mères semblent quand même plus au courant et trouvent une répartie rigolote :
« Et si le bébé est chauve, on colore le périnée pour bien faire la différence avec la tête alors ? Lol ! » (doctissimo)

         Mais en règle générale, (et c’est peut-être le pire), LE conseil qui ressort sur les forums, c’est :
- C’est « un peu gênant, il est vrai, mais on n’est plus à ça près ! » (infobébés.com)
- « Je peux te rassurer que lors de ton accouchement, tu ne te rends pas vraiment compte de cela. » (infobébés.com).
- « En tous cas, je veux dire de ne pas t’inquiéter pour ça », rassure-t-on sur le forum infobébés.com
- « J’y ai eu le droit mais bon, franchement, j’ai pensé à autre chose à ce moment-là, et vu la posture j’étais plus à ça près ! » (infobébés.com)
        
         Donc, en gros, on est déjà suffisamment humiliée, on n’en est plus à rougir d’un coup de rasoir administré par un(e) inconnu(e) sur une partie intime.
         En fait, minimiser ainsi la chose, la considérer comme une préoccupation pour ainsi dire puérile et indigne d’une femme sur le point d’enfanter, c’est refuser de reconnaître que c’est bien une pratique (de plus) qui va s’immiscer dans la sphère intime de la parturiente, parfois sans même qu’on daigne la prévenir et d’une manière qui peut la traumatiser à différents degrés. Dans tous les cas, cela s’inscrit dans les pratiques qui sont trop souvent imposées aux femmes et si jamais on ose relever le caractère humiliant de l’acte (sans parler de son inutilité !), on se voit reprocher qu’on n’arrive pas à élever notre esprit pour ce moment d’amour céleste qui va constituer un paroxysme de notre existence (ou qu’on n’est pas docteur ayant fait 12 ans d’études et qu’on ferait bien d’arrêter de se renseigner, faites-nous confiance, ma p’tite dame).
         On en arrive à ce genre de témoignages, où les torts du personnel hospitalier sont complètement réduits, voire niés :
- « On m’a rasée au niveau du périnée juste avant d’accoucher avec un rasoir Bic … mais on m’a laissé le reste des poils. J’ai pas du tout eu mal, la sage-femme était douce mais il se trouve que j’ai un grain de beauté à cet endroit et il a été un peu égratigné et ça m’a un peu brûlée par la suite mais, sinon ça va, on nous enlève juste quelques centimètres carrés de poils. » (magicmaman.com) (c’est moi qui souligne les tournures de phrases destinées à minimiser l’importance de ce qu’elle a subi)

         Très officiellement pourtant, pour l’OMS, le rasage du pubis entre dans la catégorie « pratiques à l’évidence nocives ou inefficaces et qu’il convient d’éliminer » pour un accouchement dit « normal » :
- « Lavement et rasage du pubis sont considérés depuis longtemps comme superflus et ne devraient plus être effectués qu’à la demande de la femme. » Source : Les soins liés à un accouchement normal – Guide pratique, publié par l’OMS en 1997 et téléchargeable à cette adresse : http://www.who.int/reproductivehealth/publications/maternal_perinatal_health/MSM_96_24_/fr/

- « Le rasage du pubis (Johnston et Sidall 1922, Kantor et al. 1965) est censé réduire les infections et faciliter la suture mais cela n'est pas prouvé. Les femmes sont gênées lorsque les poils repoussent et le risque d'infection n'est pas réduit. Le rasage systématique pourrait même accroître le risque d'infection par le VIH et le virus de l'hépatite, pour le dispensateur de soins et pour la femme. » Source : Département de Santé et Recherche génésiques, OMS, et sur Internet : http://www.doulanaissance.ca/documentations/aspects_acc.html

         Alors, comment se fait-il que cette pratique soit toujours d’actualité dans nos contrées ? Les gynécologues-obstétriciens et sages-femmes français ne lisent-ils pas les actualités scientifiques de leur domaine ? Pourquoi de telles absurdités perdurent-elles au vu et au su de tous alors même qu’elles sont décriées par les experts du monde entier ? Les parturientes sont-elles trop honteuses parce qu’il s’agit de leurs organes génitaux ? Ou plutôt parce qu’elles sont déjà dans une posture de soumission extrême face au personnel hospitalier et qu’il est communément admis que ses membres n’ont pas à justifier de leurs protocoles, aussi stupides, bornés et néfastes soient-ils ? Est-il normal que les femmes aient besoin d’aller quémander cette information capitale pour leur corps sur des forums de vulgarisation scientifique réputés peu fiables ? Qu’est-ce que cela sous-entend sur la soi-disant « relation de confiance » qu’elles sont censées entretenir avec le médecin qui suit leur grossesse ? A quand une prise de conscience du grand public sur les méfaits physiques et psychologiques (à court et long terme) des pratiques routinières autour de l’accouchement ?





J.P.L.F.

« L’OMS distingue quatre catégories de pratiques entourant l’accouchement :
CATEGORIE A : Pratiques dont l'utilité peut être démontrée et qu'il convient d'encourager
CATEGORIE B : Pratiques qui sont à l'évidence nocives ou inefficaces et qu'il convient d'éliminer
CATEGORIE C : Pratiques sur lesquelles on ne dispose pas de preuves suffisantes pour les recommander fermement et qu'il convient d'utiliser avec précaution tandis que les recherches se poursuivent
CATEGORIE D : Pratiques fréquemment utilisées à tort »

Un petit jeu Juste Pour Le Fun :
Vous avez déjà accouché plus ou moins récemment et vous avez eu un accouchement dit « normal » (pas de césarienne, pas de jumeaux, etc…) ? 
Amusez-vous donc à cocher le nombre de pratiques catégorisées par l’OMS comme « fréquemment utilisées à tort » par les personnels des hôpitaux, cliniques et autres maternités et que vous avez quand même dû subir à cause du sacro-saint protocole de sécurité !

CATEGORIE D : Pratiques fréquemment utilisées à tort
£ Interdiction d'absorber aliments et liquides pendant le travail
£ Traitement de la douleur par des agents systémiques (c’est-à-dire par des médicaments qui pénètrent la totalité de l’organisme et pas seulement un organe).
£ Traitement de la douleur par l'analgésie épidurale (= la péridurale).
£ Monitorage électronique du fœtus
£ Port de masques et de gants stériles par la personne aidant à l'accouchement
£ Touchers vaginaux répétés ou fréquents, spécialement par plusieurs dispensateurs de soins
£ Accélération par l'ocytocine (= injection d’ocytocine de synthèse soi-disant pour accélérer le travail).
£ Transfert systématique de la femme en travail dans une autre pièce au début du deuxième stade (c’est-à-dire en salle de naissance à partir du moment où il y a dilatation complète)
£ Sondage de la vessie
£ Encouragement à pousser dès le diagnostic de dilatation complète ou presque complète du col, avant que la femme éprouve elle-même le besoin de pousser
£ Observance stricte d'une durée stipulée pour le deuxième stade du travail, une heure par exemple, si l'état de la mère et du fœtus est bon et si le travail progresse (= on chronomètre le temps de poussée de la mère et à la fin de ce temps, même s’il y a une progression, on passe à quelque chose de plus agressif)
£ Extraction instrumentale (= ventouse, forceps …)
£ Utilisation courante ou systématique de l'épisiotomie (incision sur le côté de la vulve avec des ciseaux)
£ Exploration manuelle de l'utérus après l'accouchement

Comptabilisez vos « points » ! Mon petit score personnel : 9 sur 14. Bravo et merci à la clinique Jeanne d’Arc de Paris 13 ! 

jeudi 1 mai 2014

Le livret de paternité

Je suis enceinte de 5 mois. Ce matin, mon conjoint a trouvé dans la boîte aux lettres un fascicule, petit bijou de conseils pour les pères : le « livret de paternité » édité en 2004 par le ministère délégué à la famille et envoyé par notre chère Caf. La couverture arbore fièrement une bannière « Liberté, égalité, fraternité – République française » assortie d’une belle Marianne. Autant dire que c’est bien officiel, c’est du lourd, ça rigole pas. 


En plus, ce livret bénéficie apparemment d’un plébiscite quasi-total par les pères :
« Si 56 % des pères interrogés se sont déclarés surpris de recevoir ce livret, 96 % le conserveront. La totalité des futurs pères d’un premier enfant le conserveront, contre 94 % des pères qui ont déjà au moins un enfant.
Trois pères sur quatre ont lu le livret. 35 % l’ont lu complètement, 45 % partiellement. Seuls 4 % déclarent qu’ils ne le liront pas. Notons, sans surprise, que la proportion de lecteurs est supérieure chez les plus jeunes pères. » Source

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« Ce livret est pour vous les pères. […] Ce livre de paternité souligne votre place et votre rôle. »
Les auteurs (les gars du ministère) prônent le père présent, proche de ses enfants dès la naissance, n’ayant pas peur de perdre son autorité au profit de l’affection. Bref, le père nouveau. Approche nouvelle, novatrice, pleine de bonne volonté. C’est court (12 petites pages), simple et clair. Trois parties : droits et devoirs des parents, aides aux familles et droits et devoirs de l’enfant.
On déniche bien une petite citation de Marcel Rufo, mais en mode « soft ». Et puis, pour contrebalancer, il y a aussi un petit mot de Martin Winckler, c’est très hétéroclite.

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En fait, c’est plein de contradictions. D’un côté, des infos intéressantes pour les futurs pères avec un point de vue moderne, et d’un autre côté, des trucs on-ne-sait-pas-d’où-ça-sort ? comme cette phrase :

« L’enfant reconnaît son père vers l’âge de deux mois. »

Histoire de susciter l’intérêt des pères avant la naissance et les premiers mois, bravo ! Ils connaissent l’haptonomie, au ministère ? Certes, les bébés de 2 mois commencent à sourire en voyant un visage humain dans l’objectif de se sociabiliser. Mais un nouveau-né se sentira apaisé par la présence de son papa, au contact de sa peau : il le reconnaît clairement par sa voix, son odeur. Comment peut-on penser encourager les futurs pères à être plus impliqués avec ce genre de phrases ?

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Et puis il y a cette conclusion de Christiane Olivier, psychanalyste :
« La première année est tendre, la deuxième est tendre et sévère, la troisième est tendre, sévère et sociale, ce sont les règles à ne jamais oublier. Si vous êtes sévère la première année : erreur, votre enfant ressent qu’il n’est pas compris, qu’il est seul. Si vous n’êtes pas sévère dans la deuxième année : erreur, votre enfant devient de plus en plus envahissant dans votre vie, il prend trop d’importance et vous avez l’impression qu’il ne vous aime pas. C’est qu’il a compris que vous ne le grondiez pas, par peur d’être mal-aimant(e) vous-même. Si vous ne le quittez la troisième année au bénéfice des autres enfants de la maternelle, il ne se confrontera pas au désir des autres enfants et ne tiendra pas compte de leur existence ni de leur désir, alors qu’il était là pour apprendre qu’il pouvait avoir des amis et partager des choses avec eux. »

Mme Olivier, spécialiste de la relation mère-fille, auteure de "Enfants rois, plus jamais ça!", nous livre ici une vision assez classique du rôle de père : représenter l’autorité. Et sans traîner, sans trop s’attarder dans l’affection. 
Que l’enfant devienne plus « envahissant » dans notre vie entre 1 et 2 ans, je vois pas comment l’éviter… il marche, il découvre le monde mais en même temps, il est loin d’être autonome, il a encore énormément besoin de ses figures d’attachement primaire pour se sécuriser. Comment l’enfant peut-il prendre « trop » d’importance, alors qu’il est censé être toute notre vie ??
Et donc si vous sombrez dans le laxisme dès la deuxième année de votre enfant (car c’est bien la menace du laxisme qui plane en filigrane quand on nous parle d’absence de sévérité et de gronderie), vous aurez alors cette impression « qu’il ne vous aime pas » ???!! Cette auteure, ainsi que tous les relecteurs au ministère, n’ont-ils donc pas entendu parler d’accompagnement bienveillant de l’enfant, de théorie de l'attachement? Il faut croire que non. Ou plutôt, il faut croire que ça leur parle pas, ils préfèrent toujours ce bon vieux Freud.
Et le meilleur pour la fin : quid de la troisième année ? S’il n’est pas envoyé dans une bonne école bien-pensante de la République où il sera formé en tant que citoyen français (les premières notes de la Marseillaise résonnent en fond), vous en ferez un paria asocial, un rémi-sans-ami, un adolescent mal dans sa peau probablement enclin à la délinquance, l’addiction, voire au terrorisme.
Donc là, c’est comme si la maternelle était obligatoire pour le bon développement psychologique de chaque enfant. On oublie que l’être humain est sociable par nature, que les enfants qui ne vont pas à l’école sortent quand même de temps en temps de chez eux, que la mise en collectivité précoce est loin d’être la panacée pour les petits et qu’il n’y a aucun risque, mais plutôt que des bénéfices, à garder son enfant avec soi.

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A mon avis, ces « règles », vous pouvez les oublier bien vite. Vous, oui vous les pères, soyez tendres, affectueux, délicats, bienveillants, à l’écoute, proches, présents. Sans limites, sans restrictions.