jeudi 1 mai 2014

Le livret de paternité

Je suis enceinte de 5 mois. Ce matin, mon conjoint a trouvé dans la boîte aux lettres un fascicule, petit bijou de conseils pour les pères : le « livret de paternité » édité en 2004 par le ministère délégué à la famille et envoyé par notre chère Caf. La couverture arbore fièrement une bannière « Liberté, égalité, fraternité – République française » assortie d’une belle Marianne. Autant dire que c’est bien officiel, c’est du lourd, ça rigole pas. 


En plus, ce livret bénéficie apparemment d’un plébiscite quasi-total par les pères :
« Si 56 % des pères interrogés se sont déclarés surpris de recevoir ce livret, 96 % le conserveront. La totalité des futurs pères d’un premier enfant le conserveront, contre 94 % des pères qui ont déjà au moins un enfant.
Trois pères sur quatre ont lu le livret. 35 % l’ont lu complètement, 45 % partiellement. Seuls 4 % déclarent qu’ils ne le liront pas. Notons, sans surprise, que la proportion de lecteurs est supérieure chez les plus jeunes pères. » Source

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« Ce livret est pour vous les pères. […] Ce livre de paternité souligne votre place et votre rôle. »
Les auteurs (les gars du ministère) prônent le père présent, proche de ses enfants dès la naissance, n’ayant pas peur de perdre son autorité au profit de l’affection. Bref, le père nouveau. Approche nouvelle, novatrice, pleine de bonne volonté. C’est court (12 petites pages), simple et clair. Trois parties : droits et devoirs des parents, aides aux familles et droits et devoirs de l’enfant.
On déniche bien une petite citation de Marcel Rufo, mais en mode « soft ». Et puis, pour contrebalancer, il y a aussi un petit mot de Martin Winckler, c’est très hétéroclite.

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En fait, c’est plein de contradictions. D’un côté, des infos intéressantes pour les futurs pères avec un point de vue moderne, et d’un autre côté, des trucs on-ne-sait-pas-d’où-ça-sort ? comme cette phrase :

« L’enfant reconnaît son père vers l’âge de deux mois. »

Histoire de susciter l’intérêt des pères avant la naissance et les premiers mois, bravo ! Ils connaissent l’haptonomie, au ministère ? Certes, les bébés de 2 mois commencent à sourire en voyant un visage humain dans l’objectif de se sociabiliser. Mais un nouveau-né se sentira apaisé par la présence de son papa, au contact de sa peau : il le reconnaît clairement par sa voix, son odeur. Comment peut-on penser encourager les futurs pères à être plus impliqués avec ce genre de phrases ?

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Et puis il y a cette conclusion de Christiane Olivier, psychanalyste :
« La première année est tendre, la deuxième est tendre et sévère, la troisième est tendre, sévère et sociale, ce sont les règles à ne jamais oublier. Si vous êtes sévère la première année : erreur, votre enfant ressent qu’il n’est pas compris, qu’il est seul. Si vous n’êtes pas sévère dans la deuxième année : erreur, votre enfant devient de plus en plus envahissant dans votre vie, il prend trop d’importance et vous avez l’impression qu’il ne vous aime pas. C’est qu’il a compris que vous ne le grondiez pas, par peur d’être mal-aimant(e) vous-même. Si vous ne le quittez la troisième année au bénéfice des autres enfants de la maternelle, il ne se confrontera pas au désir des autres enfants et ne tiendra pas compte de leur existence ni de leur désir, alors qu’il était là pour apprendre qu’il pouvait avoir des amis et partager des choses avec eux. »

Mme Olivier, spécialiste de la relation mère-fille, auteure de "Enfants rois, plus jamais ça!", nous livre ici une vision assez classique du rôle de père : représenter l’autorité. Et sans traîner, sans trop s’attarder dans l’affection. 
Que l’enfant devienne plus « envahissant » dans notre vie entre 1 et 2 ans, je vois pas comment l’éviter… il marche, il découvre le monde mais en même temps, il est loin d’être autonome, il a encore énormément besoin de ses figures d’attachement primaire pour se sécuriser. Comment l’enfant peut-il prendre « trop » d’importance, alors qu’il est censé être toute notre vie ??
Et donc si vous sombrez dans le laxisme dès la deuxième année de votre enfant (car c’est bien la menace du laxisme qui plane en filigrane quand on nous parle d’absence de sévérité et de gronderie), vous aurez alors cette impression « qu’il ne vous aime pas » ???!! Cette auteure, ainsi que tous les relecteurs au ministère, n’ont-ils donc pas entendu parler d’accompagnement bienveillant de l’enfant, de théorie de l'attachement? Il faut croire que non. Ou plutôt, il faut croire que ça leur parle pas, ils préfèrent toujours ce bon vieux Freud.
Et le meilleur pour la fin : quid de la troisième année ? S’il n’est pas envoyé dans une bonne école bien-pensante de la République où il sera formé en tant que citoyen français (les premières notes de la Marseillaise résonnent en fond), vous en ferez un paria asocial, un rémi-sans-ami, un adolescent mal dans sa peau probablement enclin à la délinquance, l’addiction, voire au terrorisme.
Donc là, c’est comme si la maternelle était obligatoire pour le bon développement psychologique de chaque enfant. On oublie que l’être humain est sociable par nature, que les enfants qui ne vont pas à l’école sortent quand même de temps en temps de chez eux, que la mise en collectivité précoce est loin d’être la panacée pour les petits et qu’il n’y a aucun risque, mais plutôt que des bénéfices, à garder son enfant avec soi.

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A mon avis, ces « règles », vous pouvez les oublier bien vite. Vous, oui vous les pères, soyez tendres, affectueux, délicats, bienveillants, à l’écoute, proches, présents. Sans limites, sans restrictions.


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